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« Un saut dans le vide »

Actualité générale de l'Alliance Navale

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24/08/2025

La Présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale avait qualifié de « saut dans le vide » la rupture de l’accord avec l’Australie relatif au programme de sous-marins de la classe Attack. Confrontés à un environnement géopolitique et militaire inquiétant, les gouvernements successifs tentent, pour l’instant sans succès, de renouveler la flotte de combat de la Royal Australian Navy (RAN) et de créer une industrie de construction navale autonome.

Rompant avec la tradition de faire confiance aux chantiers européens, le gouvernement australien a annoncé le 5 août 2025 retenir le chantier japonais Mitsubishi Heavy Industries « à l'issue d'un processus d'appel d'offres rigoureux et concurrentiel » pour la fourniture des futures frégates polyvalentes (general purpose frigates) de la RAN. La frégate Mogami modernisée proposée par le constructeur japonais a été jugée à même de répondre rapidement aux attentes australiennes, au détriment de la proposition « compétitive et de grande qualité » soumise par Thyssenkrupp Marine Systems.

Les trois premières frégates seront construites au Japon, la première devant être livrée à l'Australie en 2029 et admise au service actif en 2030, cinq années avant la date initialement prévue, une accélération jugée nécessaire à la lumière des conclusions de la Defence Strategic Review. Selon le communiqué officiel, ces onze frégates, les huit autres devant être construites au sein de la base navale d’Henderson, « remplaceront les [huit] frégates de classe Anzac » en service depuis 1996 et contribueront à la lutte sous la mer comme à la défense aérienne.

Leur financement s’inscrit dans le budget décennal de 55 milliards de dollars australiens, soit un peu plus de 30 milliards d’euros, annoncé par le Premier ministre Albanese pour le renouvellement de la flotte de surface australienne. Ces frégates polyvalentes rejoindront les trois destroyers de classe Hobart en service et les six futures frégates de classe Hunter  visant à « plus que doubler » le nombre de bâtiments de combat, conformément au projet dévoilé le 20 février 2024. L’Australie ambitionne de disposer dans les meilleurs délais d’une vingtaine de frégates de premier rang et de six Large Optionally Crewed Surface Vessels, un format largement supérieur à celui de la Marine nationale.


“Australia’s modern society and economy rely on access to the high seas: trade routes for our imports and exports, and the submarine cables for the data which enables our connection to the international economy. The Royal Australian Navy must be able to ensure the safety and security of our sea lines of communication and trade routes as they are fundamental to our way of life and our prosperity” - Deputy Prime Minister, the Hon Richard Marles MP


En juin 2018, le précédent gouvernement australien avait déjà sélectionné, toujours dans le but de remplacer les frégates de classe Anzac, le constructeur britannique BAE Systems et son offre basée sur la frégate type 26, préférée à la FREMM de Fincantieri et à la frégate F-100 de Navantia, pour un programme de neuf frégates type Hunter construites « en Australie, par des Australiens, à partir d'acier australien ». Les six frégates de classe Hunter construites aux chantiers navals d’Osborne, la dernière tranche ayant été abandonnée, entreront en service au début des années 2030, le retard subi par le programme assorti d’une explosion des coûts ayant conduit l’Australian National Audit Office à publier en mai 2023 un rapport dénonçant en des termes policés une gestion « partiellement efficace » et « l'immaturité de la conception » du projet.

HMAS Warramunga avant refonte, le 1er avril 2004

Suite à la signature du contrat principal le 21 juin 2024, six ans après le choix du constructeur britannique, la découpe des premières tôles n’a débuté que cet été, l’admission au service actif de la première frégate étant espérée en 2032, de la troisième en 2036, de la sixième uniquement en 2043. Le design de la frégate type 26 proposée par BAE Systems a en effet nécessité de nombreuses modifications pour satisfaire aux demandes australiennes, telles que l’intégration du système de combat Aegis, du radar à balayage électronique CEAFAR2 conçu et construit en Australie ou encore celles visant à répondre « aux exigences législatives australiennes ».

La flotte de frégates Hunter, dans quelques années...

Concernant la composante sous-marine, le renouvellement des six sous-marins de classe Collins de fabrication suédoise âgés d’une trentaine d’années prévoyait initialement la livraison dès le début des années 2030 de douze sous-marins de classe Attack, une décision dénoncée le 16 septembre 2021 en parallèle de la résiliation des contrats passés avec Naval Group et Lockheed Martin Australia. Au 30 juin 2022, le coût total du projet avorté s'élevait à 3 milliards de dollars australiens, dont 827,2 millions versés à Naval Group au titre de l'indemnité de résiliation du contrat.


Le 30 août, une réunion ministérielle franco-australienne s’est tenue en format 2+2 […] À l’issue de cette réunion des ministres des affaires étrangères et de la défense, nous avons publié une déclaration conjointe indiquant que « Les deux parties se sont engagées à approfondir la coopération dans le domaine des industries de défense et à améliorer leurs capacités de pointe dans la région. Les ministres ont souligné l’importance du programme des futurs sous-marins ». Cette déclaration date du 30 août, deux semaines avant l’annonce faite le 15 septembre. Voilà pourquoi je parle de trahison » - Jean-Yves Le Drian, 6 octobre 2021.


La veille de cette résiliation, à la surprise générale de la partie française, le Président des États-Unis et les Premiers ministres britannique et australien avaient annoncé la création d’AUKUS, « nouveau partenariat trilatéral renforcé en matière de sécurité entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ». Scott Morrison avait fièrement révélé que la « première initiative majeure » de ce partenariat consisterait à fournir à l'Australie une flotte de sous-marins à propulsion nucléaire équipés d’armes conventionnelles. Il était alors prévu que ces sous-marins soient construits à Adélaïde, en Australie, « en étroite collaboration avec le Royaume-Uni et les États-Unis ».

Le 23 mars 2021, moins de six mois avant l’annonce de la création d’AUKUS, Naval Group s'engageait pourtant auprès du gouvernement de Scott Morrison à ce que « au moins 60% de la valeur du contrat pour les futurs sous-marins soit dépensée au profit de l’industrie et des emplois australiens ». Dès le 15 septembre, il aurait été prudent que les Australiens écoutent la version britannique de cette « initiative majeure », Boris Johnson décrivant un des projets les « plus complexes et [les] plus exigeants au monde sur le plan technique qui « s'étendra sur plusieurs décennies » et « permettra de créer des centaines d'emplois hautement qualifiés à travers le Royaume-Uni ».


« J'ai été très impressionné par la forte capacité du tissu industriel australien et son enthousiasme à l’égard du projet de sous-marins de classe Attack. Ce programme va permettre de livrer à la Marine australienne des sous-marins de supériorité régionale. Ce seront les sous-marins conventionnels les plus avancés au monde, conçus spécifiquement pour les besoins de l’Australie. Le programme permettra également de créer une nouvelle industrie souveraine dédiée à la construction de sous-marins en Australie. La base industrielle locale ainsi renforcée permettra à l’Australie de garantir son autonomie pour cette capacité de défense critique. » Pierre-Eric Pommelet.


Le 1er décembre 2023, les trois ministres de la défense se sont réunis en Californie au sein du Defense Innovation Unit pour dresser un bilan sur le partenariat AUKUS, leur donnant l’occasion de préciser les étapes prévues pour la réalisation du pilier I : création au sein de la base navale de Stirling de la Submarine Rotational Force-West dès 2027, vente de sous-marins de la classe Virginia à l'Australie à partir du début des années 2030, livraison du premier sous-marin AUKUS à la Royal Navy à la fin des années 2030 et du premier sous-marin AUKUS construit en Australie à la Royal Australian Navy au début des années 2040.

Durant son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées en octobre 2021, Jean-Yves Le Drian avait constaté de manière prémonitoire que « [les Australiens] se mettent ainsi entièrement à la merci des évolutions de la politique américaine ». Confirmant ces craintes, le 26 juillet 2025, les ministres de la défense britannique et australien ont signé le Nuclear-Powered Submarine Partnership and Collaboration Treaty appelé « traité de Geelong » en référence au lieu de sa signature, qui concrétise « l'engagement pour les 50 prochaines années de coopération bilatérale entre le Royaume-Uni et l'Australie en matière de défense » et exclut ainsi les États-Unis de la « coopération globale en matière de conception, de construction, d'exploitation, de maintenance et de désarmement » des futurs sous-marins AUKUS.

Des voix se sont en effet élevées aux États-Unis contre la vente prévue de trois à cinq sous-marins de la classe Virginia, alors que la situation des chantiers navals inquiète et ne permet pas de garantir le calendrier de livraison au profit de l’US Navy, qui prévoit la mise en service d’au moins deux Virginia par an. Lors de son audition devant le Comité des forces armées du Sénat le 24 juillet 2025, l’amiral Daryl Caudle a regretté « la diminution des capacités de construction navale et les retards dans l'exécution des réparations ». Interrogé sur la vente de sous-marins à l’Australie, il a indiqué que « les tendances actuelles sont préoccupantes » sans préciser quels « meilleurs conseils militaires » il comptait fournir au Department of Defense dans l’examen entamé du pacte de sécurité AUKUS.


“The Navy’s 2025 shipbuilding plan discusses the prospective submarine sales under the AUKUS security pact, but it does not address whether or when replacements for those submarines would be ordered. The report states that the Navy would purchase 2 SSNs per year “in support of the National Defense Strategy and AUKUS.”1 However, given the Virginia class submarines’ 33-year service life, purchasing 2 SSNs per year would allow the Navy only to achieve and maintain its own force goal of 66 attack submarines; to accommodate the prospective sales under AUKUS, the submarine industrial base would need to increase the production rate of the SSNs” - An Analysis of the Navy’s 2025 Shipbuilding Plan.


Devant la Chambre des Représentants, le Secretary of the Navy John Phelan a certes confirmé le 14 mai 2025 que la capacité de production de plus de deux sous-marins de classe Virginia par an est nécessaire « afin de maintenir la flotte de sous-marins existante et de respecter les engagements pris par les États-Unis de livrer des sous-marins de classe Virginia à l'Australie ». Il a surtout mis en avant les aspects favorables aux Etats-Unis, le pilier I leur assurant « une présence sous-marine tournante en Australie occidentale et un emplacement stratégique important pour le ravitaillement et l’entretien [des] sous-marins ». Il s’est également félicité des deux milliards de dollars investis par l’Australie dans la base industrielle et technologique de défense des États-Unis…

Estimation du nombre de sous-marins Virginia en service en fonction des scenarii AUKUS

Confrontée à une marine chinoise de plus en plus agressive, la marine australienne attend toujours le remplacement de ses huit frégates de classe Anzac et de ses six sous-marins de classe Collins. Les difficultés qu’elle éprouve montrent à quel point la Marine nationale, grâce à des industriels performants, un maintien en condition opérationnel efficace et un format cohérent, bénéficie des meilleurs atouts pour garantir l’autonomie stratégique de la France.


Dans la Marine, on est héritier et bâtisseur. On hérite d’une situation et il faut faire avec ce qu’on a. De fait, on est passé de vingt-trois à quinze frégates de premier rang, au fil des LPM successives et des dividendes de la paix. Je ne reviens pas sur les quinze frégates prévues dans la LPM. Quand bien même nous en commanderions aujourd’hui, elles ne seraient pas livrées avant très longtemps – Amiral Nicolas Vaujour, 16 octobre 2024.


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