« Le Grand Nord redevient un théâtre d'influence, d'interférence, de contestation entre puissances »
Le ministère des Armées s’est doté en mars 2025 d’une stratégie de défense pour l’Arctique pilotée par la Direction générale des relations internationales et de la stratégie. Le dérèglement climatique et le recul de la couverture glaciaire rendent en effet partiellement praticables de nouvelles routes de navigation permettant de gagner jusqu’à 40 % de temps de trajet par rapport à un transit par le canal de Suez. Mais c’est surtout l’invasion de l’Ukraine en février 2022 et ses conséquences sur les équilibres géopolitiques, en particulier l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, qui ont conduit la France à s’intéresser encore plus aux zones polaires.
Sept des huit États dont le territoire est traversé par le cercle polaire sont membres de l’Alliance atlantique, partageant ce privilège avec la Russie. Conscient des nouveaux enjeux, l’amiral Kevin Lunday, à la tête de l’US Coast Guard depuis le 21 janvier 2025, a ainsi mis à profit l’admission au service actif en août 2025 du brise-glaces USCGC Storis, première acquisition d’un bâtiment de ce type depuis 25 ans, pour souligner un investissement « historique » visant à renforcer les capacités essentielles de la flotte de brise-glaces polaires, « protéger la souveraineté des États-Unis et […] contrer toute influence néfaste dans l'Arctique ». L’USCGS Storis devrait être rejoint par trois Polar Security Cutter pour lesquels le Congressional Budget Office a rendu un rapport plutôt alarmant évoquant un dépassement de 60 % du budget.
La marine royale canadienne dispose quant à elle de six Arctic and Offshore Patrol Ships (navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique), le HMCS Robert Hampton Gray ayant été livré le 21 août 2025. Ces patrouilleurs de 103 mètres et 6 660 tonnes sont adaptés à la navigation dans les glaces et conçus pour renforcer la présence des Forces armées canadiennes dans l’Arctique, un « carrefour international important où se croisent des questions de changement climatique, de commerce international et de sécurité internationale » (Notre Nord, fort et libre : une vision renouvelée de la défense du Canada).
Possédant 23 000 kilomètres de côtes bordant l’océan Arctique, la Russie cherche à pérenniser la route maritime du Nord, maintenue ouverte pendant l’hiver par une flotte de brise-glaces à propulsion nucléaire. Lors du 6ème forum international sur l’Arctique organisé à Mourmansk, Vladimir Poutine a longuement détaillé les potentialités de ces espaces, anticipant un triplement d’ici 2030 des volumes transportés sur cette route septentrionale. La Chine est d’ailleurs très attachée à cette route qui se situe dans la continuité de la Belt and Road Initiative, permettant de créer des corridors sûrs vers l'Europe en évitant les zones de turbulence de la mer Rouge ou du détroit de Malacca tout en réduisant le trajet d’environ 30 %.
« Il y a quelque temps, lors d'un G7, la CMA-CGM avait déclaré qu'elle n'emprunterait pas cette route au nom du respect de l'environnement. En fait, c'est surtout contraire à son intérêt économique : passer par cette zone est trop aléatoire. Les acteurs du shipping sont opportunistes : si la route devient accessible, ils l'emprunteront » - Hervé Baudu, audition sur les enjeux stratégiques du flanc nord de l'Europe et de l'Arctique.
Le Groenland permet à une partie du littoral danois d’être limitrophe de l’océan Arctique. Le retour au pouvoir de Donald Trump a remis cette grande île, de plus de 2 millions de km2 mais à la population limitée à 52 000 habitants au cœur de l’actualité quand le Président des États-Unis a émis l’idée d’acheter voire d’obtenir par la force ce territoire. Dès les premières « menaces », le gouvernement danois a décidé un investissement de 14,6 milliards de couronnes (environ 2 milliards d’euros) pour renforcer la présence danoise dans ses possessions arctiques, une décision moquée par Donald Trump qui a confirmé en mars 2025 sa volonté d’acquérir la possession danoise, « d’une manière ou d’une autre », ce que n'avait pas manqué de noter Vladimir Poutine durant le forum sur l'Arctique.
“And I also have a message tonight for the incredible people of Greenland. We strongly support your right to determine your own future, and, if you choose, we welcome you into the United States of America. We need Greenland for national security and even international security, and we're working with everybody involved to try and get it. But we need it, really, for international world security. And I think we're going to get it. One way or the other, we're going to get it” – Donald Trump, Address Before a Joint Session of the Congress.
8 % des importations françaises de pétrole provenaient en 2024 de Norvège, qui poursuit malgré un éphémère moratoire la recherche ainsi que l'exploitation des hydrocarbures dans le sous-sol de sa zone économique exclusive, contrairement à la France qui y a mis fin par la loi 2017-1839 du 30 décembre 2017. Le 8 août 2025, la ministre norvégienne de l’énergie Terje Aasland a ainsi inauguré en mer de Barents le champ pétrolier le plus septentrional de Norvège, dont les réserves devraient garantir trente ans d’exploitation, ce qui occupera très certainement les planificateurs de l’OTAN qui développaient déjà dans les années 90 un Contigency Operational Plan dédié à la protection des installations norvégiennes.
La stratégie de défense pour l’Arctique affirme que la France, « puissance maritime à vocation mondiale, a le devoir de contribuer activement à la stabilité de l’Arctique ». La Marine nationale est coutumière des déploiements Grand Nord, permettant aux frégates mais également aux bâtiments de soutien de mieux connaître des environnements inhabituels et peu accueillants. Le BSAM Rhône avait ainsi emprunté le passage du nord-est lors de son premier déploiement, ralliant l’Alaska depuis la Norvège en deux semaines sans assistance et sous l’œil à l’époque bienveillant de la marine russe.
Le même bâtiment a eu également l’occasion de naviguer au milieu de la banquise épaisse de plus d’un mètre en juin 2024, la voie lui étant ouverte par le navire de croisière polaire brise-glaces Commandant Charcot, de la compagnie française du Ponant. Les capacités étatiques sont elles limitées au patrouilleur polaire L’Astrolabe, construit dans le cadre d’un partenariat entre la collectivité des terres australes et antarctiques françaises et la Marine nationale. Il sera rejoint prochainement par un « navire à capacité glace qui se partagera entre le Pacifique Ouest et l'Antarctique Est », dont la construction a été annoncée le 10 novembre 2023 par Emmanuel Macron. Basé à Nouméa, il portera le nom de Michel Rocard, premier ambassadeur français pour les pôles.
L’intérêt de la France pour l’Arctique s’est concrétisé par la signature le 23 juin 2025 d’un Partenariat stratégique riche d’un long développement relatif à la sécurité et à la défense annonçant un renforcement de la « coopération opérationnelle dans le domaine maritime » et de la base industrielle et technologique de défense européenne, tout en encourageant les industries de la défense française et norvégienne à « mener des projets conjoints ». Malgré un investissement personnel du chef de l’État, c’est pourtant le Royaume-Uni qui a été choisi pour fournir les prochaines frégates norvégiennes, une mauvaise nouvelle pour l’industriel français mais sans doute une bonne nouvelle pour la Marine nationale qui attend avec impatience ses frégates de défense et d’intervention.
« Alors, s'agissant de nos frégates en tant que telle, je dirais que, premièrement, c'est le meilleur produit. Pourquoi ? Parce que nous les produisons, nous les utilisons, et si vous comparez à tous les autres, ils sont en retard dans tous leurs programmes, ils travaillent dur, mais ils ont beaucoup de retard. Alors que nous, nous livrons à temps des bateaux, des frégates tout à fait fiables que nous utilisons et nous les livrons toujours à l'heure à nos clients. Deuxièmement, elles sont disponibles dès cette année. Troisièmement, elles ont le meilleur système de défense aérienne. Et cette capacité d'avoir une offre de défense générale est proposée par cette brigade. Et puis également, en termes de ressources humaines, elles sont beaucoup plus économes, adaptées. On compte quelque 50 marins de moins pour des frégates de taille comparable. Et comme vous l'avez vu, je mentionnais des critères objectifs pour soutenir notre offre et nous sommes prêts à livrer et très enthousiastes, comme vous pouvez le voir ».

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