Mission : ne pas produire un appel d’air sur les migrations
Agence des Nations Unies destinée à assurer « la dignité, la sécurité et la protection des migrant », l’Organisation Internationale pour les Migrations recense le décès ou la disparition de 1705 migrants en mer Méditerranée depuis le début de l’année. A la même date, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes FRONTEX constate une baisse de 25 % des entrées irrégulières dans l’espace européen mais une constance dans les flux en Méditerranée centrale, avec l’arrivée de 63 200 migrants en provenance pour 90 % d’entre eux des côtes libyennes.

La chute de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste à l’origine de cette route de Méditerranée centrale avait conduit le Conseil de l’Union européenne, « fermement résolu à agir pour éviter les tragédies humaines dues au trafic de clandestins dans la Méditerranée », à lancer le 18 mai 2015 une opération militaire baptisée EUNAVFOR MED. La mission confiée au commandant italien de l’opération, dont le quartier général est situé à Rome, consistait à contribuer au démantèlement du « modèle économique des réseaux de trafic de clandestins et de traite des êtres humains dans la partie sud de la Méditerranée centrale ».
Dès 2016, les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), en particulier la résolution 2292, autorisent les États Membres, « agissant à titre national ou dans le cadre d’organismes régionaux », à procéder à l’inspection des navires à destination ou en provenance de la Libye lorsqu’il existe « des motifs raisonnables de penser que ces navires transportent des armes ou du matériel connexe à destination ou en provenance de la Libye ». La mission de l’opération européenne évolue en conséquence, incluant la prévention du trafic d’armes en tâche de soutien, la tâche principale restant liée « au trafic de migrants et à la traite des êtres humains ».
Renommée EUNAVFOR MED opération SOPHIA du nom d’un bébé né sur un navire de l’opération, elle prend fin le 31 mars 2020, la décision 2020/471 rappelant que le 17 février 2020 « le Conseil est convenu que [l’opération] devrait être close ». Réunis à Bruxelles, les ministres des affaires étrangères étaient parvenus à un accord politique sur le lancement d'une nouvelle opération destinée « à mettre en œuvre l'embargo sur les armes » à destination de la Libye, convenant que « l'impact potentiel sur les flux migratoires » ferait l'objet d'un suivi attentif et pourrait « entraîner le retrait des moyens maritimes de la zone concernée ».
La nouvelle opération baptisée EUNAVFOR MED IRINI a été officiellement lancée à la même date du 31 mars 2020 en réponse aux résolutions du CSNU relatives à l’embargo sur les armes en vigueur depuis 2011. Cette opération contribue également à prévenir l’exportation illicite de pétrole et à faciliter le développement des capacités libyennes en matière d’opérations répressives en mer. Elle contribue également « dans une moindre mesure au démantèlement du modèle économique des réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains ».

La décision 2020/472 du Conseil limite cette tâche devenue secondaire « à la collecte d’informations et à l’organisation de patrouilles réalisées par moyens aériens au-dessus de la haute mer ». Initialement prévue pour une année reconductible, l’opération est autorisée jusqu’au 31 mars 2027 mais « fait l’objet d’une nouvelle confirmation tous les quatre mois », une décision de prolongation prise par le Comité politique et de sécurité (COPS) en fonction des rapports mensuels établis par le commandant de l’opération « concernant les facteurs produisant un appel d’air ». Le 18 novembre 2025, le COPS a prolongé l’opération jusqu’au 31 mars 2026 « pour la dix-huitième sous-période de quatre mois ».
La crainte que le déploiement de moyens maritimes produise un appel d’air sur les migrations limite sans surprise l’efficacité opérationnelle de l’opération IRINI, ce qui a été souligné par les délégations de Russie et de Chine lors de l’adoption de la résolution 2804 prolongeant de six mois les autorisations d’inspection au large de la Libye. La déléguée russe a regretté que la mise en œuvre du régime d’inspection « repose de facto sur la seule responsabilité de l’Union européenne et de son opération navale IRINI [alors que] aucune réduction significative du volume des livraisons illégales d’armes à la Libye n’a été observée ».
Jérôme Bonnafont, représentant permanent de la France, a quant à lui défendu un projet qui « s’inscrit dans le cadre du soutien du Conseil à la paix et à la stabilité en Libye » et une opération IRINI qui « agit de manière professionnelle, impartiale et efficace ». La difficulté à faire respecter l’embargo avait pourtant été illustrée dès juin 2020 lors d’un « incident » ayant opposé la frégate Courbet et trois frégates turques escortant un cargo suspecté de transporter des armes à destination du théâtre libyen. Auditionné par les sénateurs le 1er juillet 2020, l’ambassadeur de Turquie en France avait défendu l’attitude des forces navales turques, rappelant également que « cet embargo est violé quotidiennement par voie terrestre et par voie aérienne ».
Les récents débats intervenus à New-York lors de la présentation d’une nouvelle « feuille de route politique pour la Libye » ou lors de l’intervention ultérieure de la Représentante spéciale pour la Libye dénonçant un « manque de volonté politique » dans son application ont permis de confirmer les limites de l’opération européenne, le représentant grec faisant part de sa préoccupation au regard des « refus répétés d’inspection de navires suspects ». Parallèlement, le délégué pakistanais soulignait « l’absence de résultats tangibles en matière de confiscation d’articles prohibés, [renforçant] la nécessité d’un examen approfondi de la mise en œuvre de l’embargo ».
Le Président français a longtemps tenté de s’imposer comme l’acteur principal de la réconciliation entre les deux blocs politiques libyens, à l’Ouest, un gouvernement d’unité nationale dirigé aujourd’hui par Abdel Hamid Dbeibah, à l’Est, une Armée nationale libyenne aux ordres du maréchal Khalifa Haftar. Les conclusions de la Conférence internationale sur la Libye du 29 mai 2018 actaient la tenue d’élections « parlementaires et présidentielles » le 10 décembre 2018, la déclaration issue de la Conférence internationale de Paris pour la Libye du 12 novembre 2021 réaffirmait l’attachement des signataires à la tenue d’élections « présidentielles et législatives » le 24 décembre 2021, en vain.
Depuis sa nomination, Giorgia Meloni s’est elle rendue à de nombreuses reprises en Libye, participant le 29 octobre 2024 au Business Forum Italia-Libia durant lequel elle a vanté la qualité des liens économiques entre la Libye et l’Italie. Dans le cadre de la Politique de Sécurité et de Défense commune, l’Union européenne mène une vingtaine de missions dont quatre opérations militaires. Parmi celles-ci, trois sont des opérations maritimes (EUNAVFOR), l’opération en Méditerranée peine à atteindre ses objectifs et pourrait décrédibiliser l’ensemble, sans doute serait-il pertinent d’y mettre un terme, quel que soit son bénéfice au profit des intérêts italiens en termes de connaissance de la situation maritime au large des côtes de l’Italie.
Le montant de référence pour les coûts communs d’EUNAVFOR MED IRINI s’élève pour la période allant du 1er avril 2020 au 31 mars 2027 à 60 008 800 euros.
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