« Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il nous manque trois frégates »
Le ministre a reconnu devant les sénateurs que les coupes budgétaires des années 2000 (« on peut parler d’amputation ») ont généré des situations devenues critiques, un constat « particulièrement vrai » en ce qui concerne la défense sol-air. Rappelant le rôle singulier des États-Unis dans la défense du continent européen, « dans les airs et en mer notamment », Sébastien Lecornu aurait pu citer en illustration la présence des cinq frégates type Arleigh Burke déployées en Méditerranée orientale et les nombreux missiles balistiques iraniens détruits durant la « guerre des douze jours ». Le territoire d’Israël n’est certes profond que de quelques dizaines de kilomètres, mais le rôle joué par l’US Navy nécessite de ne pas dissocier les moyens de la Marine nationale des capacités nationales de défense sol-air, contrairement aux présupposés émis dans un rapport d’information qui la réduisait à « la portion terrestre de la défense surface-air […] regroupant les activités pouvant être menées de manière coordonnée à partir du sol pour défendre une zone ou des forces déployées contre des menaces évoluant dans le milieu aérien ».
La LPM ne comptabilise en effet que les systèmes sol-air de moyenne portée terrestre (SAMP/T), au nombre de huit Mamba en parc à la fin de l’année 2023, parc prévu d’être porté à douze systèmes de nouvelle génération à l’horizon 2035. Réputé plus performant que le Patriot américain, avec une capacité à réaliser des interceptions tant hypersoniques que supersoniques, le SAMP/T sera comme le Mamba mis en œuvre par des escadrons de l’Armée de l’air et de l’espace, qui ne consacre pas de place à ces équipements sur son site Internet. Les quinze frégates de la Marine nationale emporteront toutes à l’horizon 2035 des missiles ASTER 15 ou 30 qui leur donneront une capacité de défense « sol-air », en particulier les frégates de « défense aérienne », un baptême choisi en 2005 pour caractériser le Forbin et le Chevalier Paul remplaçant les frégates « anti-aériennes » T47 et repris pour les frégates Alsace et Lorraine « à capacité de défense aérienne renforcée ». Encore faut-il pour que la capacité soit réelle que les soutes soient pleines et les équipages entraînés.
Un rapport d’information déposé le 15 février 2023 par la commission de la défense nationale et des forces armées dénonçait déjà une « dégradation globale » des stocks de munitions, conséquence directe des « dividendes de la paix » amplifiée par la revue générale des politiques publiques qui avait fait des munitions une « variable d’ajustement budgétaire ». Devant les sénateurs, Sébastien Lecornu a confirmé sa volonté de reconstituer les stocks de munitions, tout en reconnaissant que, « pour des raisons budgétaires mais aussi capacitaires de certaines entreprises », le chemin sera long et pavé d’embuches. Le ministre a également souligné la difficulté à concilier intérêts nationaux et objectifs commerciaux, les nombreux clients à l'export de Naval Group ou de Dassault étant soucieux « d'avoir des stocks importants, ou des délais de livraison très courts pour leurs munitions ».
Pendant des années, des chefs de l'État et des ministres de la Défense avant moi ont accepté que le Charles-de-Gaulle ou que certaines frégates partent en mission avec des soutes à munitions qui étaient loin d'être pleines. Cela, je ne le tolère pas - en particulier parce que je sais combien de missiles Aster l'une de nos frégates a dû tirer en mer Rouge dans le cadre de la mission Aspides, et que je connais le temps qu'il faut pour produire ces missiles.
Ardent défenseur de la cohérence sans laquelle la masse est inefficace, le ministre des armées est revenu sur cette thématique, rappelant à nouveau que l’acquisition de nouvelles plateformes, Rafale comme frégates, n’aurait pas de sens si les munitions ou les équipages faisaient défaut, n’hésitant pas à évoquer les « grandes polémiques [vécues] chez certains de nos voisins européens », privilégier la masse ayant conduit « à des échecs industriels ou militaires ». Interpelé par le président de la commission, défenseur de la « massification » au regard des changements induits par l’invasion du 24 février 2022, Sébastien Lecornu a maintenu sa position tout en dissociant les forces aéronavales des autres forces armées et en réfutant implicitement des scénarii d’engagement majeur maximalistes.
La question n'est donc pas tant de savoir s'il faut plus de navires de guerre - personne ne dira qu'il en faut moins, encore que certains l'aient dit et fait. La révision générale des politiques publiques (RGPP) a sorti trois frégates du format de la Marine ; les mers et les océans ont-ils changé ? Non, pas plus que la zone économique exclusive maritime française ; dès lors, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il nous manque trois frégates. C'est moins vrai sur d'autres capacités expéditionnaires, où il peut y avoir débat.
Qu’il manque trois frégates est un constat partagé par une majorité des responsables politiques et militaires, le chef d’état-major de la marine rappelant le 21 mai 2025 devant les députés que les contraintes budgétaires ont conduit à retenir un format de quinze frégates qui « limite notre capacité à répondre à de nouvelles crises sans compromettre nos missions existantes ». Il reste toutefois très peu probable que trois frégates de défense et d’intervention supplémentaires viennent renforcer les Amiral Ronarc’h, Amiral Louzeau, Amiral Castex, Amiral Nomy et Amiral Cabanier. Outre la cohérence chère au ministre des armées qui exige qu’équipages et munitions soient au rendez-vous, les capacités de production de Naval Group et ses succès à l’export laissent peu de place aux frégates françaises sur les cales lorientaises.
Afin de garantir le plan de charge de l’industriel, Florence Parly avait le 29 mars 2021 annoncé l'accélération de la commande des frégates de défense et d'intervention, une annonce rapidement oubliée dès le contrat signé par Athènes et la priorité donnée aux trois frégates Kimon, qui a débuté ses essais à la mer le 21 mai 2025, Nearchos et Formion, mise à l’eau le 4 juin 2025. Dans le cadre d’une feuille de route « visant à renforcer la coopération des deux pays en matière d’armement » signée le 18 juin 2025 par les ministres français et suédois, la frégate de défense et d'intervention a également été déclarée en tant que « système candidat du programme suédois de nouvelle génération de bâtiment de surface » tandis qu’une semaine plus tard, à Oslo, Emmanuel Macron a défendu la candidature de Naval Group pour le programme des cinq ou six futures frégates norvégiennes, vantant « le meilleur produit », des frégates « disponibles dès cette année », équipées du « meilleur système de défense aérienne » et « plus économes […] en termes de ressources humaines ».
Début des essais à la mer de la frégate Kimon ©Naval Group
Si la nécessité d’augmenter le nombre de frégates de 1er rang et l’impossibilité de réaliser cet objectif suscitent peu de débats, la proposition formulée par « des députés expérimentés », pour reprendre les termes du sénateur du Loiret, de décaler le programme de porte-avions nouvelle génération a été rejetée avec détermination par le ministre. Celui-ci a confirmé l’existence d’un « consensus, dans les états-majors, pour bâtir un porte-avion lourd et qui aille loin, à propulsion nucléaire et qui permette la maîtrise du ciel ». Sébastien Lecornu a également rappelé que le décalage dans le temps « poserait un gros problème de ressources humaines » et que « si on reporte le programme du PANG, il s'arrêtera complètement », rassurant ainsi le président de la commission qui a avoué avoir eu « quelques frayeurs » en lisant des propositions « émanant de députés qui sont pourtant bien informés sur ces sujets ».
J'ai deux certitudes sincères et réelles. La première, c'est que je ne vois pas bien comment il pourrait y avoir un conflit demain dans lequel, en mer, la protection aérienne ne sera pas nécessaire, c'est vrai pour la défense mer-air et pour l'air-air en mer. Ceux qui pensent que les porte-avions deviennent inutiles occultent souvent cet élément et ne démontrent en rien que cette protection sera assurée sans porte-avions […] Ma deuxième conviction, c'est donc que la propulsion du PANG doit être nucléaire, car c'est ce qui permet des capacités d'élongation.
S’il ne faut pas « être grand clerc » pour comprendre que les trois frégates manqueront encore longtemps, il sera toutefois judicieux de cesser de parier sur un avenir radieux et de restreindre les capacités des unités en service ou à venir, telles que les futurs patrouilleurs hauturiers. Il aura été nécessaire que des frégates soient confrontées à une menace mortelle pour qu’enfin il devienne évident qu’une artillerie sans conduite de tir multi-senseurs était déficiente. Équiper dès l’armement toutes les frégates européennes multi missions de STIR 1.2 EO Mk2 aurait probablement économisé quelques missiles Aster.
Les choix capacitaires définissant l'armement de ces frégates ont été faits en adéquation avec les besoins militaires et les ressources financières allouées. Des mesures conservatoires ont été prises pour faire évoluer les frégates dans le temps et s'adapter à l'évolution des menaces et du contexte opérationnel. Les missions récentes confirment ce besoin et les évolutions visées pour renforcer l'armement des frégates - question écrite n° 2454 : augmentation du nombre et de l'armement des frégates, réponse publiée le 1er avril 2025.

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