"Nous sommes une puissance maritime qui s’ignore souvent"
Deux semaines après l'amiral (2S) Bernard Rogel, le chef d'état-major de la marine a été auditionné le 21 mai 2025 par les membres de la commission de la défense nationale et des forces armées dans le cadre du cycle « Espaces maritimes et enjeux de défense ». Invité à partager sa vision stratégique sur le rôle de la marine nationale, vecteur d’influence de la France sur toutes les mers, "une réalité trop rarement évoquée" selon le président de la commission, l'amiral Nicolas Vaujour a énuméré les multiples atouts français, compagnies maritimes, armateurs, capacités industrielles ou encore flotte de câbliers.
il a longuement défendu le rôle du groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle, un outil de puissance inestimable dans un monde régi par les rapports de force. Élément clé du dialogue stratégique, il offre si nécessaire une plate-forme de combat "assurant la supériorité aéromaritime, permettant de défendre nos intérêts à l’échelle mondiale et de remporter des engagements en mer ou d’ouvrir une brèche pour la projection de puissance à terre". Il agit également comme un « agrégateur » de volontés politiques, ce qui a été illustré durant la récente mission Clemenceau 25.
Pour convaincre les députés, le CEMM a rappelé quelques chiffres : durant cette mission Clemenceau, le porte-avions a croisé cinq autres groupes porte‑avions : deux américains, un indien, un japonais et un chinois, utilisés par leurs autorités politiques comme "une manifestation tangible de leur puissance" ; vecteur de partenariat international, le Charles de Gaulle a accueilli dans son escorte dix-neuf pays, couvrant un vaste espace géographique allant de la Méditerranée à l’océan Pacifique, en passant par la mer Rouge et l’océan Indien, jusque dans les détroits indonésiens.
Anticipant les propositions d'un rapport d'information déposé le 11 juin 2025 envisageant la possibilité d’un décalage "sans rupture capacitaire et sans surcoût majeur" du programme de porte-avions nouvelle génération (PANG), l'amiral a répondu au député Philippe Bonnecarrère qui s'inquiétait du coût avoisinant les 10 milliards d'euros de l’outil de supériorité stratégique "que vous avez mentionné à plusieurs reprises". Le coût du PANG représente environ 2 % du budget de la défense pendant sa phase de construction, soit dix à quinze ans, un investissement dans un outil de puissance stratégique qui apparaît "relativement modeste", rapporté au budget global de l’État et à la dépense publique totale.
CLEMENCEAU 25 – Exercice bilatéral franco-indien VARUNA
La loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 prévoit à l'horizon 2035 un parc de quinze frégates de 1er rang (8 FREMM + 2 FDA + 5 FDI). Après avoir confirmé que le nombre de dix-huit frégates, proposé au début de la précédente LPM, restait pertinent, le CEMM a confirmé que le format de quinze frégates permettait d'assurer les "engagement essentiels" mais limitait la capacité à répondre à de nouvelles crises "sans compromettre [les] missions existantes. Le "plafond" est atteint avec trois permanences assurées en océan Indien, en Méditerranée et dans l'Atlantique nord et la Baltique conjuguées aux alertes opérationnelles à Brest et à Toulon. L'amiral Vaujour n'a pas jugé nécessaire de préciser qu'un tiers de ces frégates de 1er rang étaient à la date de l'audition des frégates type La Fayette, anciennement nommées frégates légères furtives, peu aptes à opérer en environnement opérationnel durci.
N'ayant certainement pas oublié l'annonce en mars 2021 par une précédente ministre des armées de l'accélération de "la livraison des FDI n°2 et 3, les frégates Amiral Louzeau et Amiral Castex", rapidement démentie par les faits, le CEMM a estimé l'actuelle LPM "globalement satisfaisante", "mais si nous pouvions l’accélérer, notamment pour combler nos lacunes capacitaires connues comme les frégates ou les patrouilleurs hauturiers, cela renforcerait considérablement notre efficacité opérationnelle, tout en soutenant nos industriels". Là encore, peut-être anticipait-il une proposition de la mission d'information sur le thème : "Masse et haute technologie : quels équilibres pour les équipements militaires français ?" qui suggère de certes restaurer le format de référence des frégates de premier rang à 18 bâtiments "mais en intégrant la possibilité de contrats à l’exportation" sur le modèle italien. Damien Girard, co-auteur de cette proposition a vanté la "stratégie industrielle volontariste" des Italiens, qui ont su surdimensionner leur flotte dans une logique de soutien à l’export et "disposent de bâtiments immédiatement disponibles pour des clients étrangers, tout en les mettant à disposition de leur propre marine en attendant la conclusion de contrats". Le CEMM a aimablement répondu que "cette stratégie fonctionne pour une marine dont le contrat opérationnel est moins exigeant que le nôtre et qui est davantage tournée vers le soutien à l’industrie".
Mise à l'eau de la frégate Formion, troisième FDI destinée à la marine hellénique
Auditionné le 9 avril 2025, le ministre des armées avait reconnu que "ni les océans ni notre ZEE n’ayant beaucoup changé, les trois frégates retirées du format des armées au terme de la RGPP nous manquent", sans pour autant confirmer une volonté de revenir à un format de dix-huit frégates, maintenant avec raison que "la cohérence doit primer sur la masse". Le 26 mai 2005, le ministère de la défense évoquait en effet dans une réponse à une question écrite "la perspective de l'acquisition par la France de dix-sept frégates multimissions", la loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008 du 27 janvier 2003 prévoyant la commande des huit premiers bâtiments. Le CEMM a devant les députés reconnu que la France a progressivement réduit le tonnage de ses navires, reconnaissant que le "compromis" évoqué par l'un de ses prédécesseurs qui a conduit à des bâtiments de 4 500 tonnes "accessibles financièrement, capables d’être opérés par des équipages réduits [...] semble néanmoins intéresser d'autres pays européens". Le 18 juin 2025, le ministère des armées annonçait ainsi que "la frégate de défense et d'intervention [était] système candidat du programme suédois de nouvelle génération de bâtiment de surface, alors que l'amiral Vaujour confirmait que "la Norvège avait déjà manifesté un intérêt pour ce programme".
Les territoires ultra-marins et la protection de leur immense zone économique exclusive ont également été au cœur des débats. Répondant à Jean-Louis Thiériot, à qui le remplacement des bâtiments de transport léger (Batral) "tient à cœur", le CEMM a confirmé que celui-ci n'aura pas lieu, le renoncement à toute capacité amphibie ayant été acté lors de la définition des bâtiments multi-missions devenus bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer. "Cependant", six engins de débarquement amphibie standard (EDAS) permettront "d’assurer le transport maritime et de desservir des îles isolées", les deux premiers ayant été livrés à Nouméa et en Guyane. L'amiral Vaujour a tenu à présenter l'avenir sous un jour favorable, avec l'arrivée des futures corvettes et une "efficacité globale [...] nettement améliorée".
Le compte-rendu de l'audition, ouverte à la presse, a été déposé quatre semaines plus tard, le temps probablement de rendre les propos des uns et des autres plus policés. La vidéo est également disponible, d'une durée de plus de quatre heures, elle comporte également l'audition du vice-amiral Emmanuel Slaars.
Si vous voulez augmenter la masse, la cohérence est obligatoire. Ainsi, même si Lorient était capable de produire trois nouvelles frégates l’année prochaine, il faudrait générer tous les équipages nécessaires – non pas trois mais six –, ce qui ne peut se faire en un an. Et si nous manquons de missiles Aster 15 et Aster 30 à charger, nous aurons l’air malin avec trois frégates supplémentaires aux soutes à munitions à moitié vides ! - Sébastien Lecornu, 9 avril 2025.

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