Alseamar, filiale du groupe Alcen créée en 2015 et basée à Rousset, dans les Bouches-du-Rhône, a annoncé le 18 juin 2025 la signature d’un contrat portant sur la livraison prochaine de cinq planeurs sous-marins (gliders) SeaExplorer 1000-M à la Marine nationale. Il s’agit de la version militaire du SeaExplorer, engin de 2 mètres de long et 55 kg capable de descendre jusqu’à la profondeur de 1000 mètres et de parcourir des milliers de km avec une autonomie de 125 jours à la vitesse de 1 nœud. Destinés à explorer la « colonne d’eau » en collectant des données physiques, chimiques, biologiques ou acoustiques, en fonction des capteurs installé, ces gliders ajustent leur flottabilité en adaptant leur ballast et leur tangage par modification du centre de gravité afin d’effectuer un ou plusieurs « yos » (action de plonger puis de remonter). Très économes en énergie, ces gliders peuvent également se poser sur le fond et y veiller pendant de longues durées avant de remonter à la surface, par exemple sur détection d’un signal acoustique cible préprogrammé.
Le 21 mai 2025, un membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées avait fait part à l’amiral Nicolas Vaujour de sa « préoccupation » concernant « une révolution dans la guerre navale avec la perspective de plusieurs centaines de drones opérant en essaim », faisant référence à un communiqué de presse publié une semaine plus tôt par la société Helsing, concurrente d’Alseamar. Autoproclamée « leader européen des technologies de défense » et « forte de son expertise dans les domaines aérien et terrestre », la société y présentait son glider SG-1 Fathom, aux caractéristiques très proches de celles du SeaExplorer, déployable en « vastes constellations sous-marines de surveillance », associé à Lura, une plate-forme logicielle capable de classifier et de localiser les signatures acoustiques avec « une sensibilité et une précision inégalées ».
« Lura détecte pour que nos marines puissent dissuader. Dans un monde où les menaces sous-marines se multiplient, nous devons exploiter les technologies de pointe pour protéger nos infrastructures critiques, nos eaux souveraines et notre mode de vie. Grâce à l’IA, déployée en constellation dans l’espace sous-marin, nous allons rendre les océans transparents et dissuader nos adversaires, pour une Europe forte » - Dr Gundbert Scherf, co-fondateur et co-PDG de Helsing.
Dans sa réponse, le Chef d’état-major de la marine avait tenu à nuancer l’optimisme de l’industriel, en s’appuyant sur l’expérience acquise par la Marine nationale par l’emploi des gliders conçus par Alseamar, en particulier durant l’exercice Polaris / Mare Aperto 2024 , où des navires italiens ont pu être détectés par les SeaExplorer déployés à partir d’une FREMM, puis ciblés par le groupe aérien du Charles de Gaulle. Les gliders auront « leur place » dans la surveillance et l’amélioration de la perception de l’environnement maritime mais seront toujours limités par leurs ressources énergétiques, l’absence de sonars actifs et la nécessité de transmettre les données recueillies et analysées, le CEMM précisant que « les affirmations de certains industriels prétendant rendre les océans totalement transparents ne sont pas crédibles à ce stade ».
Si les gliders peuvent être une menace pour la dissuasion, ils représentent également une opportunité. Au travers de la Coopération structurée permanente (Permanent Structured Cooperation – PESCO), l’Union européenne est particulièrement attentive à la protection des infrastructures critiques dans les fonds marins (Critical Seabed Infrastructure Protection – CSIP), un projet coordonné par l’Italie auquel participe la France qui vise à assurer la protection des infrastructures contre les événements naturels, les attaques intentionnelles et le sabotage délibéré par entre autres moyens l’emploi de véhicules autonomes sous-marins (Autonomous Underwater Vehicle – AUV), une famille à laquelle appartient le SeaExplorer.
L’OTAN est également intéressée par l’identification de nouvelles capacités adaptées aux défis du XXXI° siècle, l’Accélérateur d’innovation de défense pour l’Atlantique Nord (Defence Innovation Accelerator for the North Atlantic – DIANA) ayant établi un scénario d’emploi conçu pour l’environnement maritime « confronté à des défis uniques », partant de l’hypothèse très crédible d’une rupture accidentelle ou intentionnelle d’un câble de communication dans les eaux internationales. Les SeaExplorer participent également depuis 2021 aux exercices menés au large du Portugal, l’un baptisé REPMUS (Robotic Experimentation and Prototyping with Maritime Unmanned Systems) portant sur le développement capacitaire et l’interopérabilité, Dynamic Messenger portant sur l’intégration des systèmes maritimes sans pilote dans les opérations.
Les nouvelles menaces maritimes et la criticité d’installations sous-marines devenues indispensables au fonctionnement de la société avaient conduit les chefs d’État et de gouvernement réunis à Vilnius le 11 juillet 2023 à décider l’établissement d’un Centre maritime OTAN pour la sécurité des infrastructures sous-marines critiques. Intervenant le 26 juin 2025 au point de presse du ministère des armées, l’amiral Pierre Vandier, commandant suprême allié pour la transformation de l’Otan, a détaillé la montée en puissance de la Task Force X, un défi stratégique, « sécuriser l’invisible » (« Securing the Unseen »), répondant à une double nécessité, renforcer la surveillance maritime et tester des solutions de rupture, alors qu’une dizaine de câbles ont été rompu en mer Baltique depuis 2023. C’est dans ce cadre que cinq SeaExplorer sont déployés en Baltique, soulignant le rôle d'ALSEAMAR dans « l'amélioration de la sécurité maritime » et renforçant son engagement « en faveur de la coopération internationale en matière de défense ».
« TASK FORCE X will integrate uncrewed systems with existing naval forces before transitioning to a fully autonomous fleet, operating independently to counter threats and protect critical infrastructure. It will collect data between uncrewed systems and other emergent technologies, fuse that data within a resilient network and utilize artificial intelligence shape situational awareness. This is one of many tangible examples of how NATO is rapidly adapting its forces to a changing international security environment and countering the threats against NATO Nations » - Admiral Pierre Vandder.
Horizontalement, un glider peut parcourir 20 à 25 km par jour. Verticalement, il lui faut 4h pour faire un yo de 1000 m. Piloté à distance via des communications satellite, il reçoit ses consignes depuis un site dédié et transmet les données collectés à chaque retour à la surface. Le 14 mars 2024, le Service hydrographique et océanographique de la marine avait déjà reçu un premier SeaExplorer, suivi par un second le mois suivant, des gliders offrant « de nouvelles possibilités d'acquisition de données en mer au service d'une meilleure connaissance de l'océan ». Alseamar suggère sur son site un nouveau concept d’emploi rendu possible par les nouvelles technologies mises en œuvre, les gliders pouvant être déployés en toute discrétion vers des zones de surveillance éloignées de 1000 km de leur zone de mise à l’eau et équipés de la charge utile adaptée à leur mission.
Le scénario envisageant la présence non détectée d’une flotte de gliders attendant la sortie d’un SNLE pour observer sa manœuvre de dilution et suivre sa piste n’est pas crédible, un SNLE moderne n’émettant « pratiquement aucun signal détectable ». D’autres menaces existent pourtant, mise en avant incidemment par madame Caroline Krajka, sous‑directrice du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles, au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, qui évoquait des avancées technologiques donnant aux câbles de télécommunication sous-marins « un caractère multi‑usage présentant de vifs intérêts de sécurité ».
En effet, le développement des Sensor Monitoring and Reliable Telecommunications – SMART et du Distributed Acoustic Sensing – DAS permettant le recueil de plusieurs types de données (pression, température, mais aussi trafic maritime et activités sismiques) qui ne nécessitent pas une grante indiscrétion acoustique du « perturbateur » du milieu maritime. Alcatel Submarine Networks, opportunément repassé sous le contrôle de l’Etat français, propose ainsi un système baptisé OptoDAS qui « offre des caractéristiques uniques pour les mesures dans l’environnement sous-marin ». Le chant des baleines a été enregistré avec précision, il ne conviendrait pas que celui des SNLE le soit.

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