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La corvette de patrouille européenne, une chimère ?

Actualité générale de l'Alliance Navale

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16/12/2025

Le rapport annexé à la loi relative à la programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 insiste sur la nécessité d'améliorer la protection des territoires d'outre-mer « qui permettent à la France de détenir la deuxième zone économique exclusive (ZEE) la plus étendue du monde », des territoires « où l'accumulation des tensions stratégiques et les stratégies hybrides […] nous obligent à revoir notre dispositif ».

Dans le cadre de la modernisation des capacités opérationnelles, outre le déploiement d’avions de surveillance et d’intervention maritime Albatros, la LPM prévoit à l’horizon 2035 un parc de six corvettes en remplacement des frégates de surveillance. Un rapport d’information enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2025 précise que ces six « nouvelles corvettes hauturières [seront] développées dans le cadre du programme européen Multi mission [Modular] Patrol Corvette ».

Auditionné le 21 mai 2025 par la Commission de la défense nationale et des forces armées sur le thème « espaces maritimes et enjeux de défense », l’amiral Nicolas Vaujour évoquait ce projet sans être aussi affirmatif, indiquant que la Marine nationale travaillait « avec l’ensemble des partenaires européens pour établir une définition commune ». Cette « corvette de patrouille européenne » appartient à la famille des 78 projets mis sur pied dans le cadre de la coopération structurée permanente – CSP ou Permanent Structured Cooperation – PeSCo).

Le 23 octobre 2025, le Chef d’état-major de la Marine confirmait devant la même commission l’incertitude planant sur l’adhésion à ce projet sans répondre directement à la question posée par Yannick Chenevard pour qui le programme « ne semble manifestement pas correspondre à nos besoins ». Alors que la question portait sur « quel type de bâtiment pourrait répondre à nos exigences », l’amiral Nicolas Vaujour confirmait une collaboration « avec nos partenaires européens pour concevoir la corvette du futur » tout en annonçant une prolongation des frégates de surveillance qui « conservent encore une certaine vitalité ».

Cette « corvette du futur », classée Limited Warship Unit selon la nomenclature OTAN, est envisagée comme « une plateforme commune destinée à être utilisée par différents pays européens sur la base d'une référence commune pouvant être adaptée aux besoins des différents membres ». L’Espagne, la France, la Grèce et la Roumanie participent au projet dont la coordination est assurée par l’Italie, afin de concevoir une même coque accueillant les systèmes d’armes et les « charges utiles » répondant aux spécifications nationales.

Après la signature en juin 2019 d’une lettre d’intention franco-italienne, le projet a été placé sous la bannière de la CSP le 12 novembre 2019, la première phase de l’appel à candidature de la Commission européenne étant remportée par la joint venture Naviris détenue à parts égales par Naval Group et Fincantieri. Naviris assure la coordination et la gestion industrielle du projet, l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement – OCCAR étant mandatée pour superviser les contrats et faciliter la coordination d’un programme baptisé Multi Modular Patrol Corvette - MMPC.

Le deuxième volet officialisé le 12 décembre 2024 par la Direction générale Defense Industry and Space de la Commission européenne et l’OCCAR prévoit la production entre 2026 et 2029 de deux prototypes, l’un pour la version Full Combat Multipurpose – FCM, équipée de systèmes conçus pour assurer une autodéfense dans tous les domaines, l’autre pour la version Long Range Multipurpose – LRM, à l’endurance prolongée mais limitée dans ses capacités d’autodéfense, les deux versions étant « capables d'acquérir des capacités supplémentaires grâce à des configurations modulaires utilisant un espace polyvalent réservé à cet effet ».

Pour ce programme cofinancé par la Commission européenne par le Fonds européen de la défense, celle-ci prévoit dans la dernière phase un budget pouvant atteindre 154,5 millions d'euros, destiné à soutenir la conception, le développement et l'intégration de technologies innovantes. Le chantier naval espagnol Navantia ayant rejoint le consortium mené par Navantis, chacun des trois chantiers bénéficiera de plus de 18 M€ de fonds européens, auxquels doivent s’ajouter les fonds versés par les nations adhérentes au projet.

Auditionné le 21 octobre 2025 par la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le délégué général pour l’armement a confirmé que la France n’avait pas abondé sa participation qui « devait être de 20 millions d'euros », expliquant que « c'est une question de choix : celui de ne pas privilégier ce projet de corvette afin d'accélérer le remplacement des patrouilleurs hauturiers », une version de « la vie normale des programmes » qui diffère nettement de celle présentée deux jours après devant les députés par le Chef d’état-major de la Marine.

L’amiral Nicolas Vaujour, tout en reconnaissant que les frégates de surveillance « conservent encore une capacité opérationnelle satisfaisante, nous permettant de les prolonger », avait plaidé pour leur remplacement par des bâtiments « dotés d’une endurance hauturière et d’une autonomie essentielles, mais également d’un armement renforcé », rappelant que l’époque des « dividendes de la paix » était un « contexte désormais révolu ». Il n’avait pas fermé la porte au « projet européen dont nous conserverons les meilleurs éléments, tout en acceptant un certain report du programme ».

Le 21 mai 2025, il regrettait également l’absence « d’une stratégie navale européenne », observant la présence d’une quinzaine de chantiers navals en Europe, « lesquels sont tous concurrents », et notant que si « l’ambition politique consiste à chercher plus de cohérence, […] chaque pays est légitimement attaché au développement industriel et économique de ses territoires ». Loin de « créer demain un Airbus du naval », les Etats préfèrent disposer d’industriels nationaux, « capable de produire nos navires en toute souveraineté ».

La réussite du projet de corvette de patrouille européenne sera confirmée lorsque ces corvettes seront « employés et utilisés par les marines européennes et dans les opérations menées dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune ». Les trois chantiers navals réunis dans le consortium s’affrontent également sur les marchés à l’exportation : Navantia a réalisé le 9 juillet 2025 la pose de la quille de la corvette saoudienne Al Madinah ; Fincantieri a lancé le 29 mars 2022 la quatrième corvette de la classe Al Zubarah destinée au Qatar ; Naval Group a livré le 27 juin 2024 la deuxième corvette Gowind® commandée par les Emirats Arabes unis.

Les « critères de succès » du projet européen risquent de ne pas être réunis avant de très nombreuses années, l’incertitude plane sur le remplacement des frégates de surveillance et tandis que les chantiers navals européens se livrent à une concurrence sans merci, la Roumanie fait le choix de la Turquie pour renforcer sa flotte par l’acquisition d’une corvette de classe HISAR. Chimère : « projet séduisant, mais irréalisable ; idée vaine qui n'est que le produit de l'imagination ; illusion » - Larousse.

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