« Dans le pire des cas, nous recevrons nos bâtiments un peu plus tôt »
Le 3 septembre 2025, s’exprimant devant une vingtaine de membres de l’Association des Journalistes de Défense, l’amiral Nicolas Vaujour confirmait que le format de frégates retenu par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 ne permettait d’assurer une permanence que sur trois « plots », en océan Indien, en Méditerranée et en Atlantique et que, « si vous voulez en rajouter, il en faut un peu plus ». Alors que les cinq frégates type Lafayette permettent de respecter quantitativement sinon qualitativement le format, adopter la politique retenue par l’Italie apparait comme une solution crédible.
« Nous maintenons aujourd'hui une permanence en Atlantique, une en Méditerranée et une en océan Indien. Cela représente déjà neuf frégates. Nous disposons également de deux frégates d'alerte à Brest et deux à Toulon, ce qui ajoute quatre bâtiments supplémentaires. En comptant deux navires en arrêt technique, nous atteignons ainsi notre flotte actuelle de quinze frégates. Cette arithmétique démontre clairement que nous atteignons une limite structurelle » - CEMM, 23 octobre 2025.
L'Amiral Ronac'h "anonymisé"
Damien Girard, membre de la commission de la défense nationale et des forces armées et député de la 5ème circonscription du Morbihan, particulièrement concerné par le site industriel lorientais de NavalGroup, est un fervent défenseur de la stratégie des « coques blanches ». Celle-ci offrirait selon lui « des marges de manœuvre stratégiques et budgétaires tout en soutenant l’industrie navale de défense », une stratégie de soutien à l’export mise en œuvre par l’Italie, consistant à surdimensionner les besoins de la Marina Militare en produisant des bâtiments immédiatement disponibles pour des clients étrangers.
Emilio Bianchi "n°2"
« La mise en place de cette stratégie industrielle nécessiterait en France une amorce assumée par la commande publique et une anticipation par les forces. Par exemple, en identifiant un format de « référence » à 18 frégates mais avec une possibilité de cessions jusqu’à 16, la Marine nationale autoriserait des prélèvements à l’industriel, qui répondrait plus rapidement aux appels d’offres étrangers, en réduisant ses délais de livraison et en optimisant ses coûts » Rapport d’information n° 1564 enregistré le 11 juin 2025.
Plutôt qu’un « surdimensionnement », il parait préférable d’évoquer une élasticité sur le ralliement d’un format sanctuarisé. L’Emilio Bianchi, dixième frégate européenne multi-mission (FREMM) de la Marina Militare a été livrée le 30 juillet 2025, deux mois après le Spartaco Schergat, ces frégates remplaçant les unités éponymes transférées à l’Egypte en décembre 2020 et mars 2021. De même, le 29 janvier 2025, Fincantieri célébrait une cérémonie de « renommage » des deux Pattugliatore Polivalente d’Alturale – PPA Marcantonio Colonna et Ruggiero di Lauria devenus Brawijaka et Prabu Siliwangi au sein de la marine indonésienne. Dès le 26 juin 2025, le gouvernement italien commandait deux nouvelles unités pour remplacer les « coques blanches » devenues rouge et blanc.
Ruggiero di Lauria sous pavillon indonésien
Le 21 octobre 2025, questionnée sur ce sujet, la ministre des armées et des anciens combattants nouvellement nommée lui a répondu que « le projet de coques blanches n’a pas retenu l’attention parce qu’il serait coûteux, raison pour laquelle, à ce stade, il n’est pas notre priorité ». Le lendemain, le délégué général pour l’armement, remplacé le 17 novembre 2025, indiquait au contraire que le ministère avait adopté « une approche des coques blanches de frégates de premier rang, afin d’optimiser le planning de production et rendre le matériel plus rapidement disponible pour l’export ».
Le 23 octobre 2025, le chef d’état-major de la Marine plaidait « personnellement » en faveur de cette approche, défendant une stratégie permettant d’optimiser la production et en conséquence de réduire le cout de production des bâtiments destinés à la Marine nationale. L’amiral Nicolas Vaujour a également insisté sur le fait que « le principal critère de décision pour l'achat de nos matériels est aujourd'hui le délai de livraison », un argument défendu par le Président de la République lors de sa visite d’Etat en Norvège quand il affirma que « nos frégates [sont] tout à fait fiables et [qu’elles] sont disponibles dès cette année ».
Si les termes n’étaient pas encore entrés dans le langage courant des débats parlementaires, le concept de « coque blanche » sous-tendait les propos tenus par Florence Parly le 29 mars 2021 lorsqu’elle annonça « l'accélération » de la commande des frégates de défense et d'intervention (FDI), motivée selon elle par la « conscience des menaces qui grandissent en mer ». Cette « accélération » est mentionnée dans un avis parlementaire portant sur l’équipement des forces et enregistré le 29 octobre 2025 qui omet de préciser que le calendrier original avait été rétabli au lendemain de la signature par la Grèce d’un contrat portant sur l’acquisition de 3 FDI.
La position du CEMM est pragmatique, puisque selon ses propos, « dans le pire des cas, nous recevrons nos bâtiments un peu plus tôt, ce qui n'est guère problématique ». L’amiral Nicolas Vaujour reconnait également que « dans le meilleur scénario, nous parviendrons à les vendre à l'export, maintenant ainsi notre outil industriel au niveau optimal de performance ». Le rapport au Parlement 2025 sur les exportations d’armement de la France souligne dans la même lignée la nécessité de ces exportations indispensables pour garantir autonomie et ambition stratégique nationales.
A l’horizon 2035, le format des frégates de 1er rang de la Marine nationale comportera huit frégates européennes multi-missions, deux frégates de défense aérienne et cinq frégates de défense et d’intervention. La logique des coques blanches pourrait « dans le pire des cas » augmenter le nombre de frégates sous pavillon national mais « dans le meilleur scénario » retarder la mise en service des FDI, la Grèce ayant contractualisé la réalisation d’une FDI supplémentaire le 14 novembre 2025 tandis que la Suède examinait la candidature de la même FDI pour le programme suédois de nouvelle génération de bâtiment de surface.
Catherine Vautrin en déplacement en Suède
« Nous sommes en capacité de livrer une frégate en 2030 totalement équipée y compris en matière de défense. Nous proposons bien sûr un partenariat avec l’industrie suédoise et notamment Saab […] Et notre modèle est déjà existant puisque nous avons une frégate qui aujourd’hui est opérationnelle, la frégate Amiral Ronarc’h qui sera d’ailleurs à Göteborg en début d’année prochaine » - Catherine Vautrin, 24 novembre 2025
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