« Nous sommes actuellement à un point critique de décision »
Sous la plume de Nicolas Mazzucchi, chef du pôle Stratégie navale et Wargaming, le Centre d’études stratégiques de la Marine a publié en juin 2025 la Réflexion Marine n° 4 traitant de « l'aéronavale chinoise en quête de différenciation opérationnelle et stratégique », cinq mois avant la mise en service le 5 novembre 2025 du Fujian, premier porte-avions chinois à être équipé de catapultes électromagnétiques. Son groupe aérien sera composé de toute la palette d’aéronefs, du chasseur de 5ème génération J-35 à l’avion de guet aérien KongJing-600.

Au même moment, à l’occasion des débats parlementaires sur le projet de loi de finances 2026, les députés s’interrogent sur la notion de permanence du groupe aérien embarqué (GAé), ce qui permettrait d’éclairer le programme du porte-avions de nouvelle génération (PANG) « actuellement à un point critique de décision », pour reprendre les termes employés par le Chef d’état-major de la Marine lors de son audition le 23 octobre 2025. Tout retard serait fortement préjudiciable, le calendrier des Chantiers de l’Atlantique ne pouvant refuser aucune commande de paquebot en attendant la commande d’un hypothétique porte‑avions.
La « réalité mathématique » conduit pour l’amiral Nicolas Vaujour à un constat évident, la permanence d’alerte n’est assurée que durant 65 % de la durée de vie de l’unique porte-avions de la Marine nationale, la permanence en mer nécessitant trois unités quand la permanence en mer « lointaine » en nécessite quatre, ce qui correspond au nombre de sous-marines nucléaires lanceurs d’engins en service. La permanence de l’alerte, cohérente avec le statut de la France, pays « doté » et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, induit logiquement la nécessité d’un deuxième porte-avions.
Certains députés continuent pourtant de s’interroger sur la pertinence du programme PANG, tel Bastien Lachaud, auteur d’un amendement en ce sens (« en 2040, un porte-avions sera-t-il en capacité de résister à des nuées de drones à faible coût »), retiré après une « plaidoirie […] impeccable » de Yannick Chenevard, rapporteur pour avis « Marine ». Ce dernier avait anticipé les arguments des opposants au programme qui jugent le porte-avions « très coûteux », « très vulnérable » et « très complexe », alors qu’il constitue un « atout stratégique et opérationnel autant que symbolique ».
Aurélien Saintoul a ainsi repris le discours de son collègue pour mettre en doute les catapultes électromagnétiques (EMALS – ElectroMagnetic Aircraft Launching System) développées par General Atomics pour les porte-avions de la classe Gerald R. Ford. Evoquant les « foucades » de Donald Trump souhaitant revenir aux catapultes à vapeur, il s’est également inquiété de la dépendance à l’égard des États-Unis, bénéficiant en retour d’un cours sur les avantages de l’EMALS adaptés à « l’évolution considérable du poids des aéronefs depuis les années quatre-vingt » et d’un commentaire réaliste sur le président Trump, « nul doute qu’il changera encore d’avis demain ».
Auditionné par les députés, le Chef d’état-major des Armées , tout en rappelant que la décision ne lui appartenait pas, s’est formellement prononcé pour « la réalisation du successeur du porte-avions Charles de Gaulle ». Il a toutefois affirmé que « la forme doit être réinterrogée car on ne peut pas se contenter de reproduire un outil qui a été conçu à la moitié du siècle dernier ». Le PANG aura un déplacement de près de 80 000 tonnes pour environ 310 mètres de long, contre 42 000 tonnes pour 261 mètres pour le Charles De Gaulle. Avec un équipage de 2 000 marins, il pourra embarquer 30 avions de combat.
Le général d’armée aérienne Fabien Mandon a toutefois confirmé la place « fondamentale […] dans notre stratégie » de la capacité à projeter des moyens aériens depuis la mer, consubstantielle de la permanence d’alerte d’un GAé, car « les crises n’attendent pas le rythme des chantiers et des maintenances ». Pour assurer dans le futur cette permanence, il sera primordial de prendre en compte tous les paramètres, de la dimension industrielle à l’aspect budgétaire en passant par la longueur de la période de « tuilage » entre le Charles de Gaulle et son successeur. L’amiral Nicolas Vaujour situe l’horizon de décision « aux alentours de 2029 » lors de l’évaluation du potentiel de l’actuel porte-avions.
Les députés ont regretté à ce titre que l’étude « sur le coût et la viabilité du maintien en service après 2040 du porte‑avions Charles de Gaulle à l’issue de son arrêt technique majeur prévu en 2028 » commandée par la loi de programmation militaire n’ait pas été transmise. Cette « opacité » fragilise certainement le contrôle parlementaire et « affaiblit la crédibilité de la trajectoire affichée » mais ainsi que l’expliquer le Chef d’état-major de la Marine, seules les conclusions issues du prochain arrêt technique du porte-avions permettront d’alimenter l’étude.
La nécessité de « pouvoir disposer de deux porte-avions pour assurer la permanence à la mer » était une évidence à la fin du siècle dernier, quand le Président de la République s’adressait à l’équipage du Charles de Gaulle au large de Lorient. L’examen « très attentif » dans la préparation de la prochaine loi de programmation militaire avait pourtant conduit à l’abandon du sister-ship, dicté par les contraintes budgétaires et les « dividendes de la paix ».
Malgré les incertitudes sur la décision du lancement en réalisation du PANG, les signes positifs s’accumulent. La soudure de la 1ère tôle des enceintes de confinement des deux chaufferies nucléaires du PANG s’est déroulée sur le site de Naval Group à Cherbourg le 25 septembre 2025. Quelques jours auparavant, un Rafale marine lançait un missile air-sol moyenne portée amélioré rénové, dépourvu de sa charge militaire, au terme d’un vol représentatif d’un raid nucléaire, confirmant « le très haut niveau d’expertise de la force aéronavale nucléaire (Fanu) ».
L’amendement II-DN24 de Bastien Lachaud a été retiré. Cet amendement « d’appel » proposait de transférer un euro en AE et en CP de l’action 7 « Prospective de défense » du programme 144 « Environnement et prospective de défense » vers l’action 9 « Engagement et combat » du programme 146 « Équipement des forces ». Il visait selon le député de Seine-Saint-Denis à « ouvrir le débat », rendez-vous étant donné à la ministre le 10 décembre 2025 lors d’un débat suivi d’un vote.
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